Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 août 2021 1 16 /08 /août /2021 10:06

Le roman s’ouvre sur une chasse préhistorique lors de laquelle un adolescent à peine pubère tue sa première proie assisté de son géniteur (car le mot père n’a pas de sens pour ces lointains ancêtres). Ce passage initiatique évoqué avec brio possède un réalisme dans les détails qui heurtera les âmes sensibles comme l’avait fait le maintenant célèbre Règne animal du même auteur.

On voit qu’il est question ici du même et lancinant sujet qui fait l’œuvre de Jean-Baptiste Del Amo : la violence inhérente à la vie et la transmission de cette violence parfois nécessaire au travers des générations. Il semble que le péché originel est tapi dans cette brutalité propre au vivant bien plus que dans le fait de croquer la pomme de la connaissance.

Le monde idyllique qu’on cherche à atteindre n’existe pas. Seule la volonté de survivre, de boire, de se nourrir, de se reproduire, laisse un écho ancestral en nous, guidant la plupart de nos actes, cela même dans les sociétés les plus évoluées.

Une fois encore, en contant l’histoire tragique de ce trio composé d’une jeune femme, son fils de neuf ans et ce père et compagnon resurgit de nulle part, l’auteur va entrainer inexorablement et pourtant avec lucidité, son lecteur du côté très sombre voire terrifiant.

Ce père à la santé mentale qui vacille dangereusement  exige de sa compagne et son fils de retourner vivre dans la montagne, dans une ancienne bergerie que son propre père avait rénovée et où il était tragiquement mort dans la solitude et le dénuement des plus complets.

L’écriture coule comme un ruisseau, embaume les senteurs de sous-bois, les odeurs minérales, la beauté infinie de ces paysages d’altitude, met à l’épreuve les connaissances botaniques du lecteur mais le récompense au travers de majestueux hommages à cette nature foisonnante et merveilleuse où ne règne que la solitude et parfois l’angoisse qui l’accompagne. La montagne avec ses forêts, ses ruisseaux, ses étendues herbeuses et sa faune nombreuse et variée devient, sous la plume de Jean-Baptiste Del Amo, le quatrième personnage de la tragédie.

Le fils prend possession de ce cadre grandiose, conquis par cette découverte qui le submerge. Le père sombre peu à peu dans une démence sans retour possible. La mère veut protéger son fils mais sa peur en fait une proie facile, elle reste figée par l’effroi de ce qui s’annonce, telle une bête acculée par un chasseur et qui perçoit sa fin prochaine dans l’évidente nocivité de celui qui ne chasse que ses propres démons mais trouve auprès des siens des exutoires faciles à sa propre lâcheté.

Au-delà de ce qui aurait pu être une éclosion vers une forme de pastoralisme librement consenti et un retour à la nature fécond se cristallise une situation inextricable qui mène tout droit vers les pires  horreurs.

Jean-Baptiste Del Amo a le don diabolique de mettre des mots sur ce que le commun des mortels considère relever du silence obligé de la décence. Sa force est de nommer ce que l’on refuse de reconnaitre, la mort, le pourrissement qui s’ensuit, la nécessité de tuer pour survivre, l’âpreté de cette absurdité qu’est la vie.

Pourtant, au bout du tunnel, il n’oublie jamais de signaler la présence d’une infime lumière d’espérance qui nous empêche le désespoir. Mais cette lumière qui vacille dans le noir est fragile et le moindre souffle menace de la rendre aux ténèbres aussi noirs que le noir du cosmos où les seules lois de l’inerte et de l’absurde agencement des éléments sans vie fondent l’univers. Cette lumière n’est rien d’autre que la conscience qui, sortie du vide sidéral, permet à l’Humanité d’analyser le monde qui l’entoure et de dépasser ses propres imperfections, parfois…

Jean-Baptiste Del Amo élabore un discours et construit un paradigme très personnel mais paradoxalement très universel autour  des seules choses qui méritent notre attention. Il le fait de nouveau avec beaucoup de virtuosité, même si le résultat n’est pas à la hauteur de son chef d’œuvre couronné en 2017, l’effet de surprise n’étant plus là pour provoquer la sidération du lecteur maintenant averti.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard de m’avoir permis de découvrir ce roman juste avant sa sortie. C’est un privilège que je savoure sans retenue ou mauvaise conscience.

 

Michelangelo 16/08/2021

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : J'aime Lire et Ecrire
  • : Mes lectures et mon goût pour l'écriture en général. Mes nouvelles personnelles (très modestes). Mes réflexions (modestes)
  • Contact