La conscience et le roman
Dans son ouvrage « À la réflexion », David Lodge consacre une partie importante à l’examen de conscience dans le romanesque (intitulée La conscience et le roman). Son propos m’interpellant particulièrement, je vais tenter d’en établir la synthèse et apporter ma propre réflexion sur ce sujet.
Pour la science, la conscience est avant tout la résultante d’une activité cérébrale intense qui nous différencie de l’animal. Cette puissante mécanique permet à l’homme d’avoir le sentiment de sa propre identité et de notre libre arbitre (Francis Crick Atonishing Hypothesis 1995).
Ce formidable défi n’est pas sans incidence sur le concept d’âme hérité de notre civilisation judéo-chrétienne. Le débat reste largement ouvert et il n’est pas dans mon propos de réfléchir sur ce concept à caractère religieux ou métaphysique, mais de m’en tenir aux incidences en terme de littérature.
Contentons nous de considérer que la conscience existe telle une boîte noire en périphérie de l’activité cérébrale dont on ne peut mesurer que ce qui en sort ou y entre, sans réel moyen pour l’observateur de connaître ce qui se passe à l’intérieur (D. Lodge, à la réflexion page 289)… La psychanalyse prétend y parvenir, mais on sait combien sa démarche est bien peu scientifique et sujette à caution (Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole).
Pour une bonne compréhension suffisante à notre propos, la conscience désigne en priorité la nature spécifique de notre expérience subjective du monde (D. Lodge, à la réflexion page 291).
Mais comme aimait à le répéter Sartre, la conscience est le vers dans le fruit ! Notre expérience subjective au monde secrète son propre poison : la certitude de notre fin plus ou moins prochaine…
Cette vision sur le monde et sur notre propre personne, au travers de notre conscience provoque un trouble constant, une richesse mais aussi un désespoir tels que les grands romanciers ont su s’en emparer pour en rendre compte.
C’est bien cette conscience, cette reconnaissance du moi qui doit traverser l’écriture, faute de quoi le lecteur va se trouver en contact avec un écrit purement narratif trop souvent superficiel car sans réel moyen d’investir un univers dans lequel il pourrait se projeter, s’impliquer personnellement, réduit à l’état de simple spectateur passif.
L’introspection des consciences des personnages doit le disputer à l’introspection même du narrateur écrivain qui va enrichir son propos et donc investir le fond autant que la forme.
On pourrait dire qu’il suffit que les évènements développés dans le texte suggèrent l’importance des sentiments et des cas de conscience. La littérature actuelle avec ses best-sellers me semble aller dans ce sens en exagérant la trame narrative à la manière de films d’action si populaires à l’heure actuelle.
C’est possible, mais il faudra alors compter avec la propre subjectivité du lecteur qui va interpréter le texte… Certes, il peut exister plusieurs lectures d’un même texte. Mais il y a fort à parier que l’action va primer sur la réflexion et laisser peu de place à l’interprétation.
Si un roman purement narratif peut être agréable à lire, l’expérience prouvera toujours qu’on l’oubliera aussi vite qu’on l’a lu… Si un roman exprime une réelle profondeur des personnages qui fait écho à notre propre perception (que ce soit positif ou négatif), alors il y a de fortes chances pour qu’on garde en mémoire la trace de cette lecture…
Pour employer un autre terme synonyme, c’est la densité des personnages et la profondeur de l’examen des consciences, ou encore la simple conscience du lecteur éveillée par les situations décrites et analysées devant nous, qui va forger l’intérêt du roman.
On me rétorquera que l’originalité du thème abordé peut suffire à passionner le lecteur… C’est effectivement vrai dans certains cas. Je pense, par exemple, Aux Fourmis ou aux Thanatonautes de Werber ou encore à de nombreux romans de science fiction (l’univers de PJ. Farmer pour ne citer que lui).
Mais cet intérêt est presque exclusivement situé dans les questions fondamentales qu’ils suggèrent, plongeant indirectement le lecteur dans des réflexions qui font écho à son propre ressenti sur le monde : persistance et puissance de l’humanité, évocation de la mort (de l’humanité ou des personnages) et de sa possible résurrection (Farmer dans le Monde du fleuve ou Werber dans les Thanatonautes).
Malheureusement, force est de constater également que les suites livrées ne sont pas forcément à la hauteur et que l’intérêt suscité par la nouveauté s’émousse alors avec le sentiment très prégnant que l’auteur exploite le filon jusqu’à épuisement du lecteur pour lequel l’effet de surprise ne joue plus et qui se trouve confronté à un délire romanesque qui confine souvent à l’exagération et l’incohérence…
Je sais que mon raisonnement peut paraître cruel à l’égard d’auteurs que j’apprécie malgré tout. Pourtant, on ne peut éviter de faire ce constat. Il y a bien au moins deux types de romans disponibles à la lecture : ceux dont on se souviendra, qui nous marquent de façon définitive par leur contenu et leur profonde richesse psychologique et qui font appel à la conscience sous toutes ses formes, et ceux qu’on finit par oublier du simple fait qu’ils sont récréatifs, parfois originaux mais régulièrement superficiels…
Pour redresser mes erreurs d’interprétation ou étayer votre réflexion personnelle sur le sujet, je vous invite évidemment à lire ou relire le très intéressant opus de David Lodge A la réflexion (Rivages poche 766).
MichelANge 2013